ARKANE △ They'll hear my deadly last whisper, right before they die.

Je suis Arkane Warren. Vous ne me connaissez pas, vous ne savez pas qui je suis. Qui j’ai été. En me voyant, vous auriez du mal à estimer mon âge. Certains me donneraient une vingtaine d’années, ou moins. Et pourtant, je suis née il y a plus de quarante de cela. Je connais tous les continents de ce monde, tous les océans.  J’ai été dauphin puis oiseau. J’ai défié des tempêtes, traversé des cyclones. J’ai apprivoisé les vents, chevauché la brume, joué avec les étoiles. J’ai été lumière et ombre, jour et nuit. L’univers entier s’est dévoilé à moi. Le temps, la maladie, la mort n’ont aucune emprise sur ce que je suis. Ce que je suis vraiment. Pendant des années, des décennies, j’ai vécu le monde, libérée des hommes, libérée des frontières, libérée de moi-même.  
Mais j’ai perdu. Tout perdu. Mon royaume, mon espoir, mes sentiments, ma famille. Seule cette soif de vengeance, cette rancune demeure.  Ils m’ont tout arraché. Et ils vont payer. Ils vont tomber. Je les retrouverai.  Je les retrouverai et seule la nuit entendra leur longue agonie. Peu importe combien ils sont, peu importe la force qu’ils possèdent, peu importe que ces mots soient les derniers, je me vengerai.

Arkane S. Warren

 - Tu seras sage n’est-ce pas ? Comme toujours ?

La fillette tourna la tête, fuyant le regard de la femme qui s’était accroupie à sa hauteur. Elle fit mine d’observer ce qui l’entourait de ces grands yeux cristallins, bien qu’à part toutes ces personnes qui couraient un peu partout en cherchant leur train, il n’y ait rien à voir.

 - Arkane… Tu sais que nous t’aimons… C’est pour ton bien, ta sécurité et….
 - Nous devons partir Eryn.

Un homme s’était avancé pour venir poser sa main sur l’épaule de la femme toujours accroupie.  Celle-ci se releva avec lenteur, ne quittant pas la fillette des yeux.

 - Nous t’aimons Arkane. Ne l’oublie jamais.

Puis, en essuyant une larme sur sa joue, elle tourna les talons, suivie de l’homme qui enroula son bras autour de ses épaules. La petite n’avait pas bougé, ni parlé, elle se contentait de les suivre du regard quand une femme lui prit doucement la main avant de la tirer vers elle.

 - Le train va bientôt partir, viens avec moi, tout va bien se passer.

En moins de quelques minutes, la femme et l’enfant furent installées dans un confortable wagon. Les sièges étaient rouges et larges, à leurs pieds, une moquette venait étouffer le son des pas des passagers et une petite table était disposée près d’elles, de façon à ce qu’elles puissent poser leurs affaires dessus. Le train démarra dans un vacarme assourdissant, et bientôt, les paysages défilèrent sous les yeux de l’enfant. Elle s’était placée au plus proche de la fenêtre et n’avait pas dit un mot. La femme qui l’accompagnait, petite, un peu ronde, la peau noire ébène, tenta vainement de briser le silence.

 - Alors toi c’est Arkane c’est ça ? Moi je suis  Siara. Tes parents m’ont dit que tu avais neuf ans, mais tu es bien grande pour ton âge !

L’enfant se contenta de cligner des yeux, n’accordant même pas un regard à la dénommée Siara qui possédait un fort accent Africain.

 - Tu sais, continua Siara, le voyage sera très long, nous allons devoir traverser plusieurs pays, changer plusieurs fois de train, prendre le bateau puis la voiture avant d’arriver ! J’ai apporté un jeu de cartes ou, si tu le souhaites, tu peux me parler de toi, pour t’occuper.

Ses paroles eurent autant d’effet que la première fois. La petite était renfermée sur elle-même, fixant toujours la fenêtre de ses yeux d’un bleu cristallin. Siara soupira avant de prendre la parole une nouvelle fois, si Arkane ne voulait pas parler, alors elle parlerait seule, le silence que lui imposait la petite lui pesait bien trop. Et elle espérait qu’en lui parlant, petit à petit, l’enfant s’ouvrirait à elle, se laisserait apprivoiser, tel un animal sauvage qu’on aurait enfermé et à qui il faut apprendre à avoir confiance.

 - Je comprends que tu sois triste, c’est toujours difficile de quitter ses parents, mais je sais ce que tu ressens, je…
 - Non. Tu sais pas.

Siara sursauta, la petite lui avait parlé, et ses mots lui avaient fait l’effet d’une morsure. Rapides, poignants.  Son regard, enfin tourné vers elle était froid, dénué du moindre sentiment. Ses yeux, déjà très clairs, étaient devenus blancs comme la glace. Néanmoins, Siara garda son calme. C’est ce qu’il fallait faire, face à un animal sauvage, et elle sentait que celui qu’elle avait sous le nez ne serait pas des plus faciles à dompter.

- Tu ne veux pas me le raconter ? Peut-être que ça te ferait du bien, que ça te soulagerait…
 - Non.

Un mot. Un seul petit mot. Et pourtant c’est ce petit mot qui coupa court à la conversation. Arkane l’avait à peine murmuré, mais il avait résonné tel un cri dans l’esprit de Siara. Puissant et distinct. Inflexible. Elle soupira une nouvelle fois avant de regarder le sac qui lui faisait face. Il contenait les affaires  de la petite. Elle s’en saisit avant de l’ouvrir et de le fouiller. Ses parents, bien qu’elle n’ait pas pu échanger grand-chose avec eux, lui avait confié que tout ce dont Arkane avait besoin était dedans. Elle prit soin de ne pas froisser les quelques vêtements avant d’extirper un petit livre, ou plutôt un cahier, à en juger le contenu qui était totalement vierge. Les pages, d'un blanc immaculé, ne semblaient attendre qu'une seule chose.

- Tu pourrais l'écrire alors ? Pas forcément pour moi, mais pour toi.

Siara avait touché juste. Arkane releva lentement la tête, posant un regard curieux sur ce que la femme tenait dans ses mains.

- J'aime bien écrire. J'écris mieux que je parle.

La petite se saisit alors du cahier avant de le feuilleter et de constater la même chose que Siara. Ses pages s'offraient à elle.

- Alors, écris.

Siara lui tendait un joli stylo qu'elle avait tiré de son propre sac. Arkane s'en saisit avec délicatesse en regardant la femme qui allait devenir sa... gardienne, puis, d'un geste certain, ouvrit son cahier.