Michaël T. Eastwood

1988. Je vis le jour dans une vieille pièce délabrée, dans un cri de douleur et de colère émis par ma propre mère. Coupant le cordon qui nous reliait avec force et violence malgré son état fébrile, elle me poussa sur ce qu'il restait de la vieille banquette usée qui était dans le salon. Vautrée dans la canapé, elle me laissa hurler pendant quelques minutes, puis m'attrapa par les épaules et me secoua afin de me faire taire. Non, ma mère n'était pas faite pour cela. J'étais son premier enfant et elle regrettait déjà de m'avoir mis au monde. Après tout, ce n'était pas comme si cela fut volontaire. Prostituée de sa profession, il semblerait qu'un de ses habitués n'avait pas tendance à se protéger... Voilà comment je vins au monde, parmi les cris, la douleur, et la colère... L'amour? Je n'ai jamais connu.

1992. Âgé de quatre ans, j'étais déjà un petit garçon très éveillé. Toujours pas de père dans ma vie, et grandissant dans la misère la plus totale, me retrouvant souvent seul à la maison pendant que ma mère travaillait, j'apprenais déjà à me débrouiller à peu près seul, au moins pour me nourrir. Il arrivait souvent que ma mère ramène ses clients à la maison. Surtout un en fait. Le fameux habitué. Mais bien sûr, j'ignorais qu'il était mon père. Et c'était bien mieux ainsi. Alors que je n'avais que quatre ans je pouvais donc très clairement entendre les ébats de mes parents dans la pièce d'à côté. Les murs étaient fins comme du papier. Pendant ces moments, je me contentais de m'assoir sur le vieux divan tâché de sang où j'avais vu le jour, et d'attendre qu'il aient fini. J'étais un garçon curieux, et j'appris très vite ce que les grandes personnes faisaient, entre autre dans cette pièce, dans la chambre de ma mère... Je voyais plusieurs hommes défiler, et il me fallut peut de temps pour comprendre, ouvrant, un jour, doucement la porte de la chambre qui était restée ouverte....

13 octobre. Un cadeau tombé du ciel. Je vis ma mère hurler de douleur et s'allonger en vitesse sur le divan. Elle transpirait, elle souffrait. Je croyais d'abord qu'elle avait une maladie grave, et qu'elle mourrait peut-être ici. Hmm oui, j'ai oublié de préciser une petite chose. J'étais un jeune garçon sans aucune émotion. Dès que je pleurais, ma mère me frappait. Un sourire, un rire? Jamais. Je n'étais pas assez heureux pour cela. J'avais appris à ne rien ressentir, pour rien ni personne. A se demander parfois si j'étais un être humain...

Pour en revenir à notre histoire, ma mère était simplement entrain d'accoucher de son deuxième enfant sous mes yeux. Je ne savais pas trop ce qu'il se passait, je voyais seulement ma mère à moitié nue, pleine de sang, hurler et retirer quelque chose de son corps... C'est alors que je vis un bébé, couvert de sang, qu'elle déposa non sans violence dans un vieux landau avant de quitter la pièce. Le bébé hurlait à m'en fendre les tympans. Timidement, j’agrippai mes mains au berceau afin d'observer ce petit apparemment colérique. Ma mère revint avec une bassine d'eau dans laquelle elle plongea l'enfant afin de retirer le sang qui le couvrait, puis le remis à sa place. Ma génitrice ne m'avait jamais adressé la parole depuis ma naissance, excepté pour me réprimander de temps en temps. Mais maintenant que j'étais sage et impassible, elle ne me parlait plus... Une fois le nourrisson nettoyé et "rangé", je la vis quitter la maison, claquant la porte derrière elle, toujours aussi tremblante, mais sans aucune émotion sur son visage. Je m'approchai à nouveau du landau dans lequel le bébé hurlait. Il était déjà moins effrayant ainsi lavé. C'est alors que je croisai son regard bleu rempli de larmes, et qu'il cessa ses hurlements. Pour la première fois depuis ma naissance, j'eus un sourire sur mon visage. Sans aucun doute, il s'agissait d'une fille. C'est alors que je compris que j'aurai enfin quelqu'un à mes côtés, et peut-être, qui sait, un peu d'amour? Depuis ce jour, je me jurai de toujours la protéger du monde extérieur, d'essayer de la rendre heureuse et de lui donner l'amour que sa mère ne lui donnera jamais. Je la soulevai délicatement et la pris dans mes bras, m'asseyant avec elle dans le divan en prenant soin d'éviter le sang encore frais...

1994. Alane. C'était donc comme cela que se prénommait ma petite sœur. Ma mère étant de plus en plus souvent absente de la maison, c'était moi qui m'occupais d'elle. Je la nourrissais, changeais ses couches depuis qu'elle était toute petite, lui chantais des berceuses pour l'endormir... Bref, je jouais le rôle qui était normalement destiné à ma propre mère...

1999. J'allais désormais à l'école publique, ce qui me permettait de m'éloigner un peu de la maison au moins quelques heures par jours, et de faire mon instruction. J'adorais l'école, j'avais soif d'apprendre et de quitter cet endroit maudit où j'avais grandit. Mais j'étais inquiet pour ma soeur...Mon père se présenta enfin à nous en tant que tel, et avait décidé de loger avec nous. Pourquoi? Pour nous choyer? Par remord? Rien de tout cela. J'appris plus tard que sa femme venait de découvrir son penchant pour les prostituées et qu'elle l'avait mis dehors. J'avais désormais 11 ans, et ma sœur en avait 7. Nous entendions toute la nuit, et même souvent dans la journée, les ébats de nos parents. Aucun de nous deux n'osait plus entrer dans la chambre de ma mère, de peur de ces souvenirs, mais aussi de l'odeur qui y régnait... La "maison" devenait de plus en plus invivable. Et le pire dans toute cette histoire, ce qui me mettait hors de moi, c'était que notre père passait ses nerfs sur Alane. Il la battait, lui laissant d'affreuses marques. Mais je n'avais que 11 ans. Que pouvais-je faire? Moi qui avais juré de la protéger depuis sa venue en ce monde. Je l'entendais hurler et les larmes montaient à mes yeux. Des larmes de colères, contre mon père mais aussi contre moi qui était impuissant. Car bien que j'étais d'un naturel impassible, toutes mes émotions ressortaient lorsqu'il s'agissait de ma sœur... Tout ce que je parvenais à faire pour elle était de la prendre dans mes bras et d'essayer de la réconforter, de la rassurer, même si j'en étais incapable.

Quand je serai plus grand et plus fort, je te promets de te venger. Je te promets qu'il ne te fera plus jamais de mal...

Ces mots furent prononcés avec la colère d'un petit garçon. Mais je comptais bien m'y tenir un jour.

2002. Ma sœur montrait des signes inquiétants. Elle commençait à entendre des voix, à avoir des hallucinations, et avait de plus en plus de marques sur son corps, provoquées par notre père. J'étais de plus en plus inquiet pour elle. Ma mère décida de l'emmener chez un psychologue qui prononça sa "sentence" : Alane serait enfermé en hôpital psychiatrique. C'est ainsi que ma mère revint sans elle à la maison, et que pour la première fois de ma courte vie, je lui adressai la parole.


Où est Alane???

En hôpital psychiatrique.

Je me mis à hurler pour la première fois depuis ma naissance, les larmes montant à mes yeux.

VOUS NE POUVEZ PAS LUI FAIRE CA !!!


Je pris ma veste et sortis de la maison. Pour ne plus jamais y remettre les pieds... Mes parents devaient être bien contents de s'être débarrassés de nous. J'avais une envie... De meurtre. Âgé de 14 ans à ce moment là, je me mis à chercher Alane. Mais j'ignorais où elle avait été transférée, et je ne pus la retrouver. Malheureux, mais apprenant à me montrer fort, sans pitié ni expression, je décidai de construire ma vie, où du moins d'essayer. J'étais bien jeune, et je n'avais absolument aucune monnaie sur moi. Je me mis à faire la manche dans la rue, quand un jour une dame me repéra. Elle passait devant moi chaque jour à la même heure et me donnait une pièce. Puis un jour, elle s'arrêta plus longuement, et me proposa de m’héberger si en échange je l'aidais aux tâches ménagères et autres travaux du quotidien. J'acceptai et la suivis jusque chez elle. Elle avait deux filles : Miranda et Isabelle. Deux magnifiques fillettes blondes avec qui je m'entendais très bien. Et un mari. Edgard. Disons qu'il était très autoritaire, et que je n'avais pas intérêt à cesser de travailler de la journée, sous peine de prendre une bonne gifle. Rien de bien méchant en soit. Je me trouvais bien mieux ici que chez moi. J'appréciais ces gens, et je me sentais utile.

Chaque nuit, je me glissais dans la chambre de Miranda, ou bien dans celle d'Isabelle. Au début, c'était pour discuter. Mais ensuite, c'est allé bien plus loin. J'eus mon premier baiser ainsi que mon premier rapport sexuel avec Miranda. Puis avec Isabelle. Oui, une nuit sur deux j'allais avec l'une ou l'autre de ces jeunes filles, sans que leur parents ne le sachent jamais.

2006. J'avais désormais dix-huit ans ans. Je me sentais capable de faire ma vie seul. Et mieux que cela. J'avais remarqué il y a de cela un an que j'avais une faculté hors du commun. Je parvenais à voir à travers les objets. Pas tous non, surtout les objets de petites tailles. Je m'en étais aperçus à table, avec ma famille d'accueil, lorsqu'un jour, observant ma fourchette, je pus voir de quoi elle était composée, toutes ses molécules, tout son être. Grâce à ce don, lorsque je quittai cette famille à l'âge de dix-huit ans, après les avoir chaleureusement remercié, je me mis à trainer dans les casino, me servant de mes dons au poker. Je parvenais à voir chaque carte de chaque adversaire, ce qui m'assurait un grand succès. Je commençais à gagner beaucoup d'argent, à m'acheter un petit appartement pour commencer, puis tout ceci pris une grande ampleur. Je m’achetais de beaux vêtements, des costards hors de prix. Cet argent me permit aussi de faire de grandes études dans la finance, tout en continuant de trainer dans les casino le soir, me permettant désormais d'acheter un grand appartement sur New York, ville du business, où je faisais mes études. De même, j'avais une vie sexuelle très mouvementée.

Mais ce jour là, par un bel après midi, je croisai une demoiselle dans la rue qui me paraissait familière. Je crus que mon cœur allait exploser dans ma poitrine. Mais oui, c'était bien elle! Alane! Nous nous prîmes dans les bras, heureux comme jamais. Je la serrai tellement fort que je crus que j’allais briser ses petits os fragile. Oui, c'était ma petite sœur, et elle le sera toujours. Et désormais, je pouvais la protéger, comme je lui avais toujours promis.

Nous nous assîmes à une terrasse de café et parlions sans nous arrêter, heureux comme jamais, comme de vrais gamins. Alane vivant dans la rue, je lui proposai de venir loger chez moi. Mon appartement était bien suffisamment grand et luxueux pour nous deux. C'est ainsi que nous vécûmes plusieurs années ensemble, avant qu'Alane ne décide de voler de ses propres ailes.

2009. A 21 ans, j'étais devenu trader en bourse. Un métier qui me passionnait car j'aimais manipuler les gens ainsi que l'argent. Leur argent entre autre. Oui, j'aimais ce métier qui prenait pourtant énormément de place et de temps dans ma vie. Chaque nuit, j'avais une femme différente dans mon lit. Mais j'essayais de toujours trouver du temps pour rendre visite à ma sœur, la seule femme qui n'ai jamais compté à mes yeux.