Flash back / Rencontre inattendue dans la forêt.

“We live in dark, dark times - We're drawin' blood and battle lines -  We're gonna see this through - Whatever we must do - In this dark, dark time”

Les derniers mois avaient étés rudes. Depuis son départ du Bronx, Nyota avait d’abord fait route vers le Nord afin de trouver un endroit plus tranquille où s’installer. Malheureusement, la frontière entre New York et le comté de Westchester était un endroit beaucoup trop urbain pour l’aider dans cette tâche. Elle avait donc continué son périple dans la zone jusqu’à trouver un bois où se planquer. Elle y avait installé un petit camp près d’un point d’eau, minimum vital pour survivre en ces temps perturbés et y séjournait par intermittence.

Malheureusement cela ne suffisait pas. Elle avait besoin de vivres et de munitions pour continuer le combat et il lui était impossible de retirer de l’argent puisque ses comptes avaient été gelés peu après sa disparition. En effet, il ne suffisait pas d’être étiquetée et inventorié pour être un bon mutant il fallait en plus se plier aux horribles lois, passages à tabac et perquisitions à répétition qu’entrainaient l’immonde règne de Ross. De ce fait, il n’avait pas fallu longtemps à la surveillance du pseudo gouvernement en place pour se rendre compte que la jeune afro-américaine avait pris la poudre d’escampette, incapable de faire subir tout cela à sa famille.

En réponse à sa résistance, elle avait ainsi perdu tous les droits accordés aux américains, faisant d’elle une bête traquée. Du coup, pour survivre, elle avait établi des liens avec des gens peu recommandables, ceux-là même qu’elle méprisait plus que tout. Malheureusement la fin justifiait les moyens. Des gens comptaient sur elle et elle ne pouvait pas les décevoir. En effet, vivre dans les bois avait ses avantages et, à l’image de l’homologue grecque de son alter-ego, Nyota se servait des habitants originels de la zone, à savoir les animaux, pour chasser et ainsi nourrir certains camps de réfugiés de la région. C’était ainsi qu’elle avait réussi à trouver une arme digne de ce nom, en l’échangeant contre une petite réserve de viande.

D’ailleurs tout était utile dans la chasse. La peau, les os, les abats… sans parler de la viande en elle-même, tout pouvait servir quand on connaissait la bonne personne à qui ramener la carcasse. Car, oui, elle chassait mais elle était incapable d’écorcher une bête. Tout d’abord parce qu’elle n’en avait pas les compétences mais aussi parce qu’elle n’en avait ni le cœur, ni l’envie. Ce n’est pas parce que les gens veulent un burger qu’ils veulent rencontrer la vache. De ce fait, elle laissait le travail à un contact qui s’occupait de refourguer ce qu’elle ne voulait pas conserver, faisant par la même occasion office de payement.

Mais parfois ces chasses attiraient des gens… qu’elle aurait préféré éviter, comme cette fois-là. En effet, après avoir déposé son fardeau et sa liste de course à l’endroit habituel, Nyota était tombée dans une embuscade. Elle s’y attendait, elle aurait fait une bien piètre militaire si cela n’avait pas été le cas. Malheureusement elle avait sous-estimé les forces ennemies. Si le guet-apens avait été évident, la jeune femme ne s’attendait pas à ce qu’autant de monde lui tombe dessus. Dans un coin aussi reculé que celui où elle se trouvait, il fallait que quelqu’un soit au courant qu’elle était là. Et si ce n’était pas elle, son alter-ego était la cible. Dans tous les cas, il y avait une taupe dans un de ses réseaux et la jeune militaire espérait que ce n’était pas dans un des camps de réfugiés.

Elle avait donc réussi à se faufiler, habillement, hors du piège. Malheureusement, des guetteurs l’avaient repéré et ils avaient entrepris de la pourchasser. Pendant l’affrontement, elle avait clairement vu qu’il s’agissait d’un groupe des forces armées que Ross avait créées pour traquer les Évolués. De ce fait, Nyota était passé du rôle de chasseur à celui de proie en moins de quelques heures. Heureusement pour elle, elle connaissait les lieux et le chemin jusqu’à sa planque était truffé de pièges. Pourtant, malgré toutes les précautions qu’elle avait prises, certains étaient parvenu à la suivre quand même, mettant ainsi à jour ses installations.

Même si la jeune femme avait fini par se débarrasser des gêneurs, leurs équipements devaient garder des traces des emplacements par lesquels ils étaient passés et son petit camp ainsi que le bois où elle s’était installée était maintenant une zone dangereuse. Heureusement Westchester regorgeait d’endroits de ce genre, seulement il fallait que la jeune femme bouge tout son équipement, ou du moins une partie. Sans compter que durant l’affrontement, elle avait récolté un petit cadeau de la part d’un des soldats.

Assise sur un petit rocher, un sac à dos contenant son équipement de survie et son arme fétiche, Nyota poussa un long soupir tout en contemplant son mollet avec fatigue. La balle était toujours dedans et il n’était pas nécessaire d’avoir fait plusieurs années de médecine pour savoir que la situation était désastreuse. D’un geste lent, qui prouvait la douleur que cela lui provoquait, la jeune afro-américaine attrapa un morceau de bois qu’elle cala entre ses dents avant de retirer la ceinture qui lui ceignait la taille. Elle fit ensuite passer le cuir autour de sa jambe et passa la pointe de la corde dans la boucle de fer avant de serrer suffisamment fort pour tenter de contenir l’hémorragie, le bâton qu’elle mordait dans sa bouche l’empêchant de hurler de douleur.

Seulement ce ne serait pas suffisant et Nyota le savait. Il lui fallait de l’aide et vite. Mais elle ne savait pas où se rendre. Premièrement parce que la plupart de ses contacts n’étaient pas tout proche, le désavantage de se cacher au milieu de nulle part c’est qu’il n’y a personne dans les environs, et ensuite parce qu’elle soupçonnait une taupe dans son entourage et ne savait pas de qui il s’agissait. Aussi, en allant chercher de l’aide, elle pouvait aisément tomber dans la gueule du loup en s’adressant à la mauvaise personne. Pourtant il lui fallait prendre une décision rapidement. Même si le camp le plus proche contenait un informateur de Ross, elle devait tenter le coup. Elle n’était même pas certaine d’atteindre le campement à temps.

Une fois son garrot sécurisé, Nyota recracha le bâton de bois ainsi que les petits morceaux que sa morsure avait créés. Elle prit ensuite une gorgée de sa gourde qui reposait non loin puis, la sécurisant sur un des passants de son pantalon, elle poussa un nouveau soupir avant de se lever avec difficulté. Marcher n’allait pas être simple. Elle avisa une branche assez longue pour lui servir de béquille et entama son long périple.

Seulement voilà, Nyota n’avait pas fait dix mètres qu’elle se vit dans l’obligation de s’arrêter. Le sang battait à ses oreilles, sa vue se troublait… Elle eut soudainement l’impression que la tâche à accomplir était titanesque. Elle fit donc une petite pause avant de reprendre sa marche, consciente que le bas de son pantalon s’imbibait lentement de sang. Pourtant elle n’abandonna pas. Elle se battit pour avancer. Mètre par mètre, elle progressait en direction de son objectif, pas à pas.

Cela devait bien faire une heure qu’elle avançait ainsi, en se forçant à faire de petits arrêts pour reprendre son souffle, quand une volée d’oiseaux décolla devant elle, la faisant sursauter. Elle perdit l’équilibre et s’étala de tout son long au milieu des buissons, sa béquille cassant sous son poids dans un craquement sonore.

Voilà. C’était la fin. Nyota était suffisamment consciente pour comprendre que c’était là que se situait la fin du voyage. Elle allait mourir, loin de sa famille qui ne saurait jamais où elle était, ni ce qu’elle était devenue. L’endroit aurait pu être plus désagréable. L’herbe sous son corps était verte, un petit ruisseau coulait non loin d’elle, le vent jouait avec les feuilles des arbres… Quoi de mieux pour passer ses derniers moments sur Terre ?

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Les bruits autours de Nyota la berçaient dans une sorte de torpeur bienvenue. Là, allongée sur le tapis d’herbe verte, accompagnée des sons de la clairière toute proche, elle n’était pas si mal. L’affreuse douleur qui irradiait de son mollet quelques instants plus tôt, semblait se calmer doucement, soulageant ainsi la jeune américaine, qui poussa un léger soupir, à deux doigts de glisser dans une léthargie qui flirtait dangereusement avec la perte de conscience. Sa respiration se fit plus lente, presque imperceptible et elle eu l’impression étrange de quitter son corps, de s’observer d’au-dessus.

C’est ainsi qu’elle vit une jeune femme s’approcher d’elle. Elle semblait jeune mais peut-être que cela venait de sa tenue. Ses cheveux bruns s’agitaient autour d’elle alors qu’elle s’agenouillait auprès de Nyota. Elle lui parla, d’une voix douce et basse, un murmure, telle une caresse de mots. Mots qui ne parvinrent que par bribes aux oreilles de la blessée. Elle lui disait s’appeler Lily et elle l’informa qu’elle allait l’aider avant de lui demander de ne pas bouger. Un sourire en coin se peignit sur la bouche de la jeune afro-américaine qui observait toute la scène depuis son point de vue extérieur. Elle était en paix ici et ne comptait aller nulle part. C’était étrange comme l’herbe était douce et moelleuse sous son corps, comme si elle se trouvait sur un nuage de coton, confortable, chaud et relaxant. La mélodie de l’eau s’écoulant non loin l’assoupissait doucement, tout comme le chant des oiseaux. Si cela devait être sa dernière demeure, cela lui convenait amplement. Elle se sentait prête à se laisser glisser, couler, à fusionner avec la terre pour ne faire plus qu’un avec la nature environnante.

Elle ne sut combien de temps elle était restée là, flottant, planant ; miroir de son corps, reflet de son âme. Cela lui sembla être une éternité tout autant qu’une seconde. Autour d’elle le vent caressait ses joues, jouant avec les mèches de ses cheveux, légèrement humides sous l’effort qu’elle avait fourni pour arriver jusque-là. La sueur qui avait constellée son front était presque sèche lorsque la jeune femme revint près d’elle, lui parlant à nouveau avec douceur. Dans un état second elle hocha la tête à ses questions, forçant son esprit à se reconnecter avec son corps. La douleur, qui avait lâchée son emprise sur elle, quelques instants plus tôt revint alors à la charge à la seconde où elle fut à nouveau entière.

Se redressant, elle serra les dents mais ne put empêcher un grognement de s’échapper d’entre ses lèvres sèches. Elle avait la gorge douloureuse et l’impression d’avaler une pelote d’épingles toutes les fois qu’elle déglutissait. Son mollet la brûlait et se contractait à cause de la présence du métal étranger qui l’habitait, du sang en suintant à chaque spasme malgré le garrot qui lui enserrait toujours la jambe. La mâchoire crispée, elle fit un effort surhumain pour se trainer jusqu’au plaid que Lily avait installé près d’elle.

Le souffle court et le front humide, elle se laissa retomber sur le tissu dans un nouveau grognement avant de lâcher un long soupir tremblant. Elle avait chaud mais elle grelottait, ses dents s’entrechoquant, claquant dans sa bouche à l’instant où elle relâcha la pression qu’elle exerçait sur sa mâchoire serrée.

Elle se revit, enfant, recroquevillée sur elle-même, aveugle, dans cette cave sombre qui avait, depuis lors, hanté bien des cauchemars et elle dut se concentrer sur l’instant présent pour ne pas sombrer dans cette vision terrifiante, forçant sa conscience à s’accrocher à la douleur et à la présence de la jeune femme à ses côtés. Se forçant alors à faire fonctionner son cerveau afin d’éloigner le fantôme de son ancienne captivité, elle reporta son attention sur Lily. Tout un tas de question assaillait maintenant ses pensées. Qui était-elle ? Pourquoi était-elle ici ? Avait-elle un lien avec les troupes de Ross ?

Ce n’était surement pas le cas car, dans le cas contraire, elle n’aurait eu aucun intérêt à la soigner. Elle aurait plutôt eu tout à gagner à la laisser s’éteindre dans ces bois. Mais alors qu’était-elle venu faire aussi loin de la ville ? Faisait-elle partie des réfugiés ? A moins qu’elle ne soit une espionne. Peut-être voulait-elle lui soutirer des informations une fois qu’elle l’aurait suffisamment rafistolée pour qu’elle puisse parler.

Il était vrai que la jeune ex-militaire connaissait bien les bois et elle savait où se trouvait les camps de réfugiés de la région. Il y avait tout un réseau qui agissait clandestinement pour protéger les “mutants”, pour les aider à passer de New York au comté de Westchester ou encore les approvisionner, que ce soit en armes, en munitions, en nourriture ou provisions en tout genre. Certains risquaient tout pour aider les Évolués alors qu’eux même n’étaient que des Originaux et la jeune afro-américaine se devait de protéger toutes ces personnes grâce à qui ils avaient tous réussit à survivre tout ce temps. Malgré tous ces questionnements et suppositions, aucune réponse ne semblait appropriée et Nyota se décida, enfin, à s’exprimer.

“Qui êtes-vous ?” lui demanda-t-elle alors, la voix éraillée. “Et que faites-vous ici ?“

Ce faisant elle s’était redressée, se servant de ses avant-bras pour se soutenir et elle l’observait, une lueur de méfiance au cœur de ses prunelles noires, voilées par la douleur et la fatigue. Ainsi placée, Nyota se tenait prête à la repousser à la moindre action suspecte. Elle savait qu’elle n’avait plus beaucoup d’énergie en réserve aussi l’attaque devait être rapide et forte. Jetant un rapide coup d’œil autour d’elle, elle y chercha une arme sommaire capable de l’aider si elle devait se battre pour sa vie. Seulement, à part l’espèce de gourdin que la jeune femme qui l’avait trouvé avait amené, il n’y avait rien et elle n’aurait pas la force de se jeter sur l’arme improvisée. Elle avait aussi un couteau caché dans sa chaussure droite, mais il lui serait impossible de l’attraper avant que la jeune femme ait agi. Elle était donc à sa merci et elle pria silencieusement pour qu’elle ne soit pas une menace.

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La jeune femme avait aidé Nyota à se relever et à s’installer sur le plaid puis avait répondu à sa question avec ce qui semblait être une honnêteté insolite. C’était comme si la franchise était devenu un sentiment étranger à l’ex-militaire. Elle se sentait comme un amnésique à qui on racontait la vie qu’il avait vécue avant de perdre la mémoire. Cela semblait familier sans pour autant l’être vraiment. Tout ce qu’elle avait expérimenté avant l’ascension de Ross, comme la loyauté ou la confiance, lui semblait être de lointains souvenirs ou une fable qu’on lui aurait contée et sur laquelle elle se serait projetée sans pourtant la vivre réellement. Ainsi les paroles de sa jeune sauveuse sonnaient vrai mais elle n’était pas certaine de pouvoir se fier à son ressenti. Surtout en cet instant, partagée qu’elle était entre douleur et délire dû à sa blessure. Pourtant son interlocutrice ne sembla pas s’en offusquer, lui tendant une bouteille avec des gestes d’une lenteur habituellement associée aux individus ou animaux dangereux.

“Nyota… je m’appelle Nyota.” la renseigna-t-elle, une pointe de méfiance dans la voix, alors qu’elle ouvrait le contenant que la jeune femme lui avait tendu précautionneusement.

Puis elle se redressa un peu plus, passant en position assise avant de porter la bouteille à sa bouche. Alors qu’elle appréciait la fraicheur du liquide qui coulait entre ses lèvres sèches et craquelées elle laissa son regard glisser sur le profil de son infirmière de fortune. Les rouages de son cerveau travaillaient rapidement, analysant les gestes de Lily, tout en les comparant avec ce qu’elle lui avait dit d’elle. Sa délicatesse ainsi que sa précision semblaient corroborer ses dires sur son métier. Elle avait la dextérité et l’habileté des joailliers mais elle aurait tout aussi bien pu être médecin et lui mentir sur la véritable raison de sa présence en ces lieux.

Analysant un peu plus ses mouvements grâce à sa vision perçante, Nyota se rendit compte que, bien qu’elle sache ce qu’elle faisait, Lily n’avait pas les gestes expérimentés des spécialistes médicaux. Ce constat la détendit légèrement, sans pourtant la rassurer totalement. Elle n’était pas certaine que de simples notions en secourisme puisse la tirer de ce mauvais pas. Mais c’était mieux que ne rien tenter et se laisser mourir sur l’herbe de la clairière comme elle l’avait préalablement pensé.

Lily semblait tout de même savoir ce qu’elle faisait et Nyota se contenta de la regarder faire, sans donner de réponse aux commentaires, qu’elle faisait pour informer sa “patiente”, tant que ce n’était pas nécessaire. Elle appréciait tout de même les informations que son infirmière de fortune lui donnait au fur et à mesure de la procédure, évitant ainsi de désagréables surprises qui l’aurait fait sursauter et aggraver la douleur.

En parlant de douleur, l’ex-militaire serrait les dents alors que la jeune femme à ses côtés nettoyait sa plaie pour mieux comprendre la raison du saignement. Malgré l’entrainement qu’elle-même avait reçu sur le sujet, Nyota avait délibérément évité de trop serrer la ceinture autour de sa cuisse. En effet parfois, appliquer un garrot pouvait avoir l’effet inverse et si les soins n’étaient pas rapidement appliqués, les risques de perdre un membre était grandement augmenté. Or sa jambe, Nyota en avait encore besoin… enfin si elle mourait, ce ne serait certainement plus le cas, mais elle préférait mourir avec ses deux jambes plutôt que vivre avec une seule.

Repoussant ses pensées morbides, l’ex-militaire regarda la jeune femme tremper une compresse dans la rivière avec un petit rictus. Il aurait mieux valu qu’elle utilise l’eau de la bouteille ou qu’elle fasse bouillir celle qu’elle utilisait actuellement pour éviter toute infection. Prenant note de s’enfiler un demi-flacon d’antibiotiques lorsqu’elle serait tirée d’affaire, elle se retint pourtant de faire un quelconque commentaire et serra les dents alors que le morceau de tissu touchait sa peau sensible à répétition.

Près de la blessure, Lily l’informa qu’elle voyait la balle et Nyota poussa un soupir de soulagement. C’était une excellente nouvelle et elle espérait que celle-ci ne s’était pas fragmenté à l’impact sans quoi la difficulté de la procédure s’en serait vu grandement augmenté, voire même impossible dans les conditions actuelles. Retirer les différents fragments d’une balle en bloc opératoire était déjà compliqué et, dans certains cas, fatal au patient ; réussir à le faire en pleine nature relevait du miracle. Son regard croisa alors celui de son infirmière de fortune et elle pesa le pour et le contre pendant une longue poignée de secondes.

Un nouveau soupir s’échappa d’entre ses lèvres. Si elles ne faisaient rien rapidement, il lui faudrait une perfusion et elle doutait que la jeune joaillière, toute bien équipée qu’elle fût, possède cela au fond du coffre de sa voiture.

“Allez-y.” lui dit-elle finalement, résignée.

Puis son regard quitta celui de la jeune femme face à elle pour se promener sur le sol près du plaid. Trouvant ce qu’elle cherchait, elle désigna d’un mouvement de menton un bâton au diamètre aussi large qu’un bouchon de bouteille et assez long pour pouvoir dépasser de sa bouche lorsqu’elle mordrait dedans.

“Mais avant, je vais avoir besoin de mordre là-dedans, sinon je risque d’ameuter toutes les troupes de la région.” la renseigna-t-elle pour qu’elle lui récupère l’objet, hors de sa propre portée.

Elle ne savait pas combien de temps s’était écoulé depuis sa petite escarmouche avec les pantins de Ross. Mais ce dont elle était certaine c’est qu’une nouvelle escouade de ces pourris était en chemin en ce moment même. Elle en aurait mis sa main à couper… si il n’avait pas déjà fallut s’occuper de sa jambe. Son inquiétude qui était déjà focalisée sur la procédure, était maintenant scindé en deux faces à ces deux situations. Celle, toute proche, de Lily trifouillant dans sa chair pour en sortir le métal étranger qui s’y était vicieusement logé et celle, extérieure à la clairière mais pas si lointaine que ça, qui risquait de leur tomber sur le coin de la figure lorsque la brigade “anti-mutants” trouverait les traces que l’ex-militaire avait laissé derrière elle.

Habituellement, elle faisait attention à masquer tout signe qui pourrait indiquer son passage. Malheureusement, sa priorité avait été tout autre lorsqu’elle avait fait route à travers bois, suite à la fusillade. Selon les estimations, quelques peu hasardeuses de Nyota, elles avaient encore un peu de temps, malheureusement cette période se réduisait à chaque seconde. Et si rien n’était tenté maintenant, alors l’ex-militaire pouvait faire la paix avec elle-même car son propre temps s’écoulait hors d’elle à la vitesse du sang qui glissait le long de son mollet.

“Je ne voudrais pas vous stresser, mais je pense que ceux qui m’ont troué la peau, ont envoyés des renforts. Ils ne devraient pas nous tomber dessus tout de suite, mais c’est un risque dont vous devez être informée.” confia-t-elle à la jeune femme à ses côtés. “Et si vous ne faites rien, je vais y rester. Une fois de plus, je ne veux pas vous mettre la pression, mais si vous pouviez accélérer le mouvement ce serait top.”

Elle lui offrit alors un demi-sourire désolé, qui montrait qu’elle était gênée de la mettre dans une telle position, puis s’allongea complètement sur le plaid avant de tourner son regard vers le ciel. Dire qu’elle appréhendait le passage de la pince dans sa chair était un euphémisme, mais elle se contenta de mordre le bâton que Lily lui avait donné et essaya de penser à autre chose.

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Comme remarqué précédemment, les gestes de l’infirmière de fortune de Nyota étaient précis, rapides et justes, bien qu’inexpérimentés. Avait-elle déjà pratiqué une telle opération sur d’autres ? Dans tous les cas, une fois que la méfiance de l’ex-militaire avait fait taire sa petite voix intérieure, il était plus aisé à la jeune femme estropiée de se rendre compte de l’aura douce et rassurante de la jeune joaillière. De là à lui faire confiance les yeux fermés, il y avait un océan, mais elle faisait son possible pour ne pas paraitre menaçante et cela détendait sa patiente.

L’afro-américaine se retenait de lui poser trop de question. Tout d’abord parce qu’à cheval donné on ne regarde pas les dents, et puis elle ne voulait pas la déranger dans son ouvrage médical par risque d’en souffrir involontairement. De plus, moins elles en savaient l’une sur l’autre et moins elles auraient d’informations à divulguer si elles se faisaient attraper. Car même si, au milieu de cette clairière idyllique, les bottes des pantins de Ross qui piétinaient tout sur leur passage semblaient lointaines, l’ombre de leur présence planait toujours sur la conscience de Nyota. Et c’était dans ces moment là qu’elle aurait préféré développer une audition surhumaine plutôt que sa vue améliorée.

Un bâton bien sécurisé entre ses mâchoires, elle tentait de se détendre, le regard rivé vers le ciel alors que la pince de son infirmière de fortune trifouillait ses chaires meurtries, tout en tentant de détecter le moindre son de brindille écrasée qui trahirait l’arrivée des troupes redoutées. Heureusement la précision de Lily rendit l’opération rapide. Sans compter que, ô joie, ô bonheur insoupçonné, la balle était toujours intacte, rendant ainsi la procédure bégnine. Vint ensuite la morsure de l’aiguille annoncée au préalable qui refermerait la vilaine plaie, elle l’espérait, pour toujours.

Maintenant que la balle n’était plus qu’un vilain souvenir, l’adrénaline et, par extension, les forces de Nyota la délaissaient. Une chappe de plomb s’enroulait autour d’elle, aussi lourde et froide que le métal. La fatigue reprenait ses droits sur son corps et elle dut faire un effort surhumain pour ne pas sombrer dans un état second. La voix de Lily lui parvint cependant, lointaine et Nyota se concentra pour lui répondre, l’esprit embrumé.

“Merci.” se força-t-elle à formuler une fois qu'elle eut recraché son morceau de bois. “Vous avez fait du bon boulot aux vues de la situation. Si vous pensez que vous pouvez nous faire passer les contrôles qui barrent les routes en direction de la ville, ce ne serait pas de refus… même si les circonstances rendent l’entreprise périlleuse.”

Nyota savait que ses options étaient limitées. Attrapant le flacon de médicaments et la bouteille que sa sauveuse lui tendait, elle s’enfila les gélules à l’aide d’une nouvelle lampée d’eau.

“Par contre je vais avoir besoin d’aide pour me changer et monter dans votre véhicule.” précisa-t-elle, maintenant presque somnolente.

Tout en elle lui criait de se relever et de partir en courant dans l’autre sens mais elle se força à faire taire une nouvelle fois la voix de la méfiance qui faisait une fois de plus rage en elle. Elle avait parfaitement conscience que si elle restait ainsi dans les bois elle avait de forte chance d’y rester, soit à cause d’une infection quelconque, soit parce que les soldats de Ross allaient finir par lui tomber dessus. Et dans son état actuel, elle ne pourrait pas faire grand-chose pour se tirer de ce mauvais pas. Il était peut-être temps de faire preuve de raison et de mettre le combat de côté afin de reprendre des forces. Un soldat blessé qui s’entêtait avait déjà un pied dans la tombe et le destin ne lui accorderait surement pas une nouvelle chance dans d’aussi brefs délais. Elle se devait pourtant de partager avec la demoiselle son plus grand secret afin que toutes les cartes soient dévoilées et qu’elle puisse, elle aussi, savoir à quoi s’attendre.

“Je dois tout de même vous prévenir que ma situation actuelle n’est pas dut à un accident de chasse.” commença-t-elle avant de se reprendre, un sourire fatigué au coin des lèvres. “Ou plutôt si, c’était une chasse au mutant et j’en étais la proie… Donc si, en sachant cela vous voulez toujours m’aider, j’accepte volontiers. Dans le cas contraire, vous pouvez toujours me déposer plus loin et nos chemins se séparerons. Je suis reconnaissante de l’aide que vous m’avez apportée jusqu’ici, mais je ne voudrais pas abuser de votre hospitalité.”

Voilà, elle venait de dévoiler son atout. A la jeune joaillière de voir si elle allait renchérir ou se coucher.

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Elles y étaient arrivées. Enfin surtout Lily. Tout ce qu’avait fait Nyota, s’était se tenir immobile sans faire de bruit. Ce qui était déjà un exploit en soi lorsqu’on connaissait le genre de douleurs qu’une blessure par balle pouvait occasionner. Mais en termes d’action décisive, la jeune joaillière avait vraiment réussi une prouesse. Recoudre quelqu’un en pleine nature, comme elle l’avait fait quelques instants plus tôt, démontrait un degré de contrôle de soi extrêmement important. Et, il allait sans dire que sans son intervention Nyota aurait surement poussé son dernier soupir dans cette clairière. Elle lui devait sa vie et, pour l’avoir risquée pas mal de fois dans divers pays, sur de nombreux champs de bataille, la jeune militaire connaissait tout le poids derrière cette simple phrase. Tout avait un prix et elle avait maintenant une dette à vie envers la jeune femme qui poussait sa générosité jusqu’à lui proposer l’hospitalité de son foyer le temps qu’elle se remette sur pied.

Il fallait être honnête, même si le fait d’accepter cette main tendue lui coutait plus que tout, Nyota n’était pas en état de la refuser. Certes, cela ne ferait qu’alourdir le prix de la tâche dont elle devrait s’acquitter afin de rembourser la jeune femme, mais si elle restait là, allongée au cœur de cette clairière, il n’était pas certain que la jeune militaire s’en tire indemne. Elle avait déjà vu ce que des infections mal soignées pouvait faire subir à un membre, voir à un corps. Sa jambe, elle y tenait et elle en avait encore besoin. Surtout si elle devait continuer d’épauler la rébellion en cours.

Ravalant sa fierté et faisant taire la petite voix qui lui énumérais le prix grandissant de la dette qu’elle devrait par la suite, Nyota se contenta de demander de l’aide pour enfiler les vêtements de rechange que Lily lui avait proposé.

Ce faisant et ne souhaitant pas causer de problème à la jeune femme qui l’avait généreusement aidée, elle prit le temps de la prévenir des risques qu’elle encourait si elles s’associaient. La réponse de Lily ne se fit pourtant pas attendre. La jeune joaillière avait oublié d’être bête et semblait déjà avoir pesé le pour et le contre, parfaitement consciente de la raison pour laquelle l’ex-militaire se trouvait dans un tel état.

Elle lui avait aussi affirmé connaitre des routes moins surveillées qui leur assurerait une retraite discrète vers la ville de New York. Au pire, si elles rencontraient une patrouille, Nyota pourrai toujours faire mine d’avoir pris la jeune femme en otage. Il était certain qu’elle préférait s’en sortir vivante, mais si le destin était contre elles, alors la question ne se posait pas. Elle devait sa vie à cette jeune femme qui n’avait rien demandé. Elle s’était juste trouvée au mauvais endroit au mauvais moment, même si pour l’ex-militaire, le lieu et le timing avait été parfait. Le malheur des uns ne faisait-il pas le bonheur des autres ? De toute façon sans la jeune joaillière, elle aurait dû mourir. Certes, elle était reconnaissante des quelques grains qu’elle avait pu rajouter au grand sablier de sa vie, poignée de minutes supplémentaires, sorte de temps additionnel qui ne la mènerait qu’à la prochaine bataille où elle briserait de nouvelles vies. Cependant il aurait été immoral et donc impensable de voler le sable qui constituait celle de son infirmière de fortune.

Une fois changée, alors que Lily récupérait le plaid, Nyota se pencha précautionneusement afin de récupérer le sac-à-dos qui contenait ses affaires les plus importantes avant de se laisser envelopper dans la douce couverture de tissu. Puis, tout en faisant bien attention à ne pas trop prendre appuis sur son mollet, soutenue qu’elle était par son infirmière de fortune, elle tira le barda derrière elle, le faisant glisser sur le sol jusqu’au véhicule. Heureusement il ne contenait que le triste nécessaire et était assez léger. Durant ses jours de services, l’ex-militaire avait eu bien plus lourd à tirer ou porter, avec ou sans blessure pour la ralentir. S’appuyant contre la voiture, elle souleva le sac par une bretelle pour le caler à ses pieds avant d’être aidé par Lily qui alla jusqu’à l’attacher. Une fois cela fait et après lui avoir confié le sac de déchets, la jeune joaillière démarra son véhicule.

Légèrement bercée par le ronronnement du moteur, Nyota aurait presque pu s’endormir si elle n’avait pas été autant sur ses gardes. Ayant abaissé son pare-soleil, elle se servait du miroir l’agrémentant comme d’un rétroviseur, lui permettant ainsi de vérifier si personne ne les suivait. Heureusement pour elles, elles ne croisèrent aucun barrage, ne s’arrêtant que pour jeter les détritus et acheter de quoi se restaurer dans une petite épicerie d’un village se situant sur leur route. L’ex-militaire accepta d’un hochement de tête le sandwich et l’eau que lui offrit Lily, rechargeant ainsi le peu d’énergie qu’elle possédait encore, avant de repartir.

Le trajet, effectué dans le silence, dura encore plus d’une heure pendant laquelle Nyota ne cessa de surveiller les alentours.

Une fois arrivé en ville, elles finirent par se garer dans un parking souterrain. L’endroit était heureusement vide et Lily aida sa patiente à se déplacer, la guidant jusqu’à un ascenseur avant de lui ouvrir la porte de son appartement. Elle l’installa ensuite sur un canapé avant d’aller fermer l’unique accès de son logement à clef.

Observant autour d’elle, l’ex-militaire détailla rapidement ce nouvel environnement, prenant note de l’emplacement des fenêtres, des fois qu’elle eu besoin de partir en catastrophe suite à l’arrivée d’ennemis divers. À cette hauteur, elle savait qu’elle ne pourrait s’échapper que si le logement bénéficiait d’une sortie d’évacuation en cas d’incendie qui accompagnait très souvent les immeubles d’habitations de la grosse pomme. La voix de son accompagnatrice la coupa cependant dans ses pensées et Nyota tourna alors son regard vers sa sauveuse. Hochant la tête, elle ouvrit enfin la bouche pour la première fois depuis qu’elles avaient quitté la clairière.

"Merci." lui dit-elle alors, incapable de lui montrer à quel point elle lui était reconnaissante. "Je ne sais pas ce que je serais devenu sans toi."

Elle avait ainsi accepté la demande de la jeune femme simplement.

"Je ne serais pas contre une bonne douche, en effet. Mais je ne voudrais pas abuser de ton hospitalité. Dès que j’aurais de quoi me faire une paire de béquilles, je chercherais un endroit où me cacher pour que tu ne risques rien."

Elle était extrêmement reconnaissante pour tout ce que la jeune joaillière avait fait pour elle. Malheureusement, elle ne pouvait pas se permettre de mettre sa vie en danger. Elle s’était déjà éloignée de la ville pour protéger sa famille et ne voulait surtout pas entrainer qui que ce soit dans ses problèmes ; surtout pas quelqu’un d’aussi généreux que Lily. De plus d’autres personnes comptaient sur elle dans les bois de Westchester. Elle ne savait pas ce qui pourrait arriver aux communautés de rebelles s’y étant établis si elles perdaient son soutien. Elle avait des engagements à tenir et ce n’était malheureusement pas le moment de leur faire faux bond, encore plus lorsque les soldats de Ross rôdaient aux alentours des différents campements.